“ Apercevez-vous quelque chose ? demanda Poussin à Porbus.
– Non. Et vous ?
– Rien. “
Balzac, Le chef d’oeuvre inconnu.
Là, le peintre était bien obligé de l’admettre.
Quelque chose n’allait pas.
Disons le clairement. Son tableau était mal fichu.
Il pouvait, bien sur, décider quelques manœuvres, choisir d’aligner ici et de simplifier là, faire intervenir des règles de composition pour équilibrer les masses mais ça l’emmerdait. A ses yeux, une œuvre réfléchie, pensée, fabriquée de toute pièce était souvent un truc de psychorigide. De la maitrise, oui, mais de quoi ?
Il préférait le frisson. L’aventure. Etre surpris. Débordé. Se trouver tout à coup plus grand que prévu.
Il voulait un petit miracle en somme.
En ais-je gâché de ces peintures qui s’annonçaient magnifiques.
Je découvrais, soudain, qu’à force de les travailler il n’était plus possible de revenir en arrière, de refaire ce qui était détruit, de quelque manière que je m’y prenne. Car avant d’avoir été voulues, chacune de ces formes avaient été vécues, et personne ne pouvait revivre un même instant deux fois.
Au mieux pouvais-je en imiter l’aspect, ce à quoi, parfois, je me résignais, surtout pour garder une trace, un souvenir de ces moments perdus.
Pourquoi je peins ce genre de choses ?
La lecture d’un magazine, faite dans la pénombre des cabinets, m’apporte un élément de réponse. Ou, du moins, l’impression que tout est normal.
L’article raconte une expérience d’un certain Benjamin Libet, en 1983, dans laquelle des sujets doivent déclencher un chronomètre à l’instant précis où ils décident de lever un doigt. Dans le même temps, des électrodes enregistrent l’activité cérébrale, préparatoire à l’acte de contracter le muscle.
Et bien le résultat est toujours le même.
La décision est prise avant que nous en ayons conscience. En d’autres termes, nous nous rendons compte d’une décision seulement une fois qu’elle a déjà été prise.
Oui. Je comprends mieux maintenant.
Quand je regarde ma peinture, je vois que j’ai décidé des choses, mais que ma conscience, longue à la détente, ne sait toujours pas quoi.
La décision prise autrefois est maintenant recouverte par mille autres. C’est à peine si nous pouvons en retrouver la trace dans une courbure, un affaissement particulier de notre fouillis intérieur.. Nous avons certes de la peine à imaginer ce que nous serions aujourd’hui, si hier, nous avions agi autrement. Mais quand vient le soir, nous avons parfois l’impression que toutes ces choses rejetées, ignorées, forment une ombre grossissante qui tend à nous rattraper.
Et parfois, on a mal à cet ombre, comme à un membre absent.
